L’une des grandes transformations pandémiques réside dans le monde du travail. De façon brusque et inattendue, la pandémie a forcé un nombre considérable de personnes à devoir exécuter leurs tâches professionnelles en télétravail.
En raison de la situation pandémique, le télétravail à partir de son domicile a été imposé. Toutefois, l’essence du télétravail se caractérise par l’exercice des activités professionnelles à temps partagé entre le bureau et un lieu différent de ce dernier. En l’occurrence, ce « lieu différent » peut être la maison, la bibliothèque du quartier, un espace de bureau partagé près de son domicile, la résidence secondaire, etc.
Permettant une plus grande autonomie, des économies financières et un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle, le télétravail a vite gagné en popularité. Ainsi, l’arrivée soudaine du télétravail de masse renverse les concepts urbanistiques de densité jusqu’ici préconisés par les planificateurs urbains et modifie le programme architectural propre à l’habitation. Le télétravail impacte donc l’habitation à deux niveaux : macroscopique (urbanisme) et microscopique (architecture), lesquels sont intimement liés.
Impacts urbanistiques et environnementaux
Avec la popularité du télétravail qui est là pour rester, les mobilités quotidiennes et le choix du milieu de vie des travailleurs sont modifiés, brassant ainsi les cartes de l’aménagement du territoire. Dans l’optique de réduire l’empreinte environnementale, on prônait il n’y a pas si longtemps, les grands principes de densification comme la construction en hauteur et la création de quartiers de type TOD (transit-oriented development), où l’aménagement de zones résidentielles avec commerces de proximité est favorisé par l’usage des transports en commun, le covoiturage, la marche ou le vélo. Si la tendance de l’exode urbain pandémique se maintient, une réflexion sur ce type de planification urbaine s’impose.
L’aménagement du territoire a un impact incommensurable sur nos déplacements, et par conséquent, sur notre empreinte écologique. À première vue, on pourrait facilement penser que le télétravail a des conséquences positives sur l’environnement puisque les gens ne font plus le trajet aller et retour en voiture cinq jours sur sept. Mais qu’en est-il de l’impact du numérique, de l’augmentation de la consommation énergétique des habitations et des mobilités du quotidien que nous faisions à même le trajet entre le bureau et la maison?
Pendant la pandémie, on a assisté à un début d’exode urbain. Avec l’instauration du télétravail permanent par certaines entreprises, fort est à parier que la redéfinition de la densité de l’habitation et des espaces collectifs comme les parcs et les transports sera l’un des grands sujets de réflexion des prochaines années. Après tout, la pandémie a démontré que la densification est favorable à la transmission des virus. En conséquence, une nouvelle tendance urbanistique se dessine tranquillement. L’idée de créer des quartiers autonomes émerge dans la tête des professionnels. Toutefois, pour rendre opérationnelle la conception d’une opération d’aménagement, on estime que cela prend entre dix à trente ans. Un beau défi pour les urbanistes!
Impacts architecturaux
On l’a peut-être oublié, mais au début des années 2000, la tendance des architectes en matière de planification d’aménagement de l’espace habitable était d’inclure « la pièce flexible ». Cette tendance s’était dessinée pour répondre à l’incertitude des pratiques domestiques et surtout aux changements de structures familiales. Avec la pandémie, cette pièce non définie s’est trouvé une vraie vocation : le bureau pour le télétravail. Si certains avaient la chance d’avoir cette pièce non définie, les autres en ont pris un coup sur le moral. Certains ont dû user d’ingéniosité pour s’installer et, du jour au lendemain, leur habitat s’est retrouvé en décalage avec les besoins initiaux qui ont influencé le choix final de leur habitation.
Le télétravail est venu changer la façon dont on s’approprie notre espace de vie. Dans les maisons de banlieue, où il y a souvent un ou des espaces sans fonction, qui servaient tantôt de salle de jeux, de salle de musique ou de bibliothèque, il a été facile de se l’approprier pour rapidement la transformer en bureau. Mais pour ceux et celles qui habitent dans des secteurs plus denses, dans les tours à condos, ou dans de très petits appartements, le télétravail est venu remettre en cause la notion de l’habitat, de son chez-soi et de la coupure symbolique avec le travail qui se faisait automatiquement en quittant le lieu de travail. Pour ceux qui n’avaient pas l’espace nécessaire pour aménager un bureau, introduire le travail à la maison a suscité un réel déséquilibre de la vie personnelle. Un énorme changement causé par un manque de quelques pieds carrés. Avec la pandémie, on réinterroge la densité du logement et on réfléchit à la qualité des espaces autour du bâtiment.
Les avantages et les inconvénients de chaque type d’habitat sont considérés et analysés. Certains confirment leur choix alors que d’autres changent radicalement de milieu. On se fait une image plus verte et moins bétonnée de l’espace que nous souhaitons occuper. Jusqu’alors snobée par les citadins, la maison de banlieue semble soudainement plus attirante. Le télétravail pousse la réflexion d’un espace habitable plus attrayant parce qu’il est venu dérégler la vie privée au profit de la vie de bureau qui entre dans l’intimité. La délimitation des espaces est primordiale. Une délimitation réussie qui sépare les fonctions et les temps d’occupation des espaces ira chercher les effets positifs du télétravail comme une conciliation travail-vie personnelle optimale. Alors qu’à l’inverse, en raison d’un manque de superficie ou d’une mauvaise planification de l’espace, le télétravail engendrera les effets négatifs et pervers jouant sur l’équilibre psychologique et émotionnel.
Comme la façon de recevoir des invités l’a fait en éliminant la salle à manger officielle séparée de la cuisine pour en faire une seule pièce à aire ouverte, ou encore comme la poussée des familles reconstituées a amené à prévoir plus de pièces de vie, le télétravail est venu modifier notre relation à l’habitation et pousse à une nouvelle aspiration du logement. Chose certaine, il façonnera l’architecture résidentielle à venir.