Architecture et urbanisme Technique

Habitations Jeanne-Mance : un village en plein cœur d’une métropole

Écrit par Marie-Pier Germain

Longtemps reconnues comme étant un quadrilatère à éviter, les Habitations Jeanne-Mance représentent le plus grand lotissement de logements sociaux au Québec, mais également le premier, comptant près de soixante ans d’histoire.

Qui connaît véritablement ce projet au parcours tumultueux? Voici son histoire, qui démontre bien que le point de départ du projet et les embûches rencontrées au fil du temps ne sont pas si loin de nos préoccupations actuelles.

Les origines du projet

Il faut remonter jusqu’en 1929 pour comprendre les origines de ce projet. Alors que les besoins en logements étaient en forte hausse, le grand krach boursier de 1929 et la guerre ont provoqué une baisse significative de la construction à Montréal, laissant naître une crise du logement qui s’étalera sur toute une décennie, soit de 1930 à 1940.

L’accès à un logement était alors très difficile, les espaces exigus et surpeuplés étaient souvent privés de toilette et d’eau chaude. Les lieux étaient insalubres. Il devenait indispensable que l’État intervienne. Ainsi, en 1944, la Loi nationale sur l’habitation a été adoptée et l’État a dû construire des logements à bas prix.

Pour vaincre cette crise, le Comité des 55 a vu le jour. Composé de 55 associations (religieuses, caritatives, syndicales) ainsi que de la Ville de Montréal, et présidé par le conseiller municipal Paul Dozois, ce comité a pour mandat d’étudier les problèmes de zonage et de faciliter la construction d’habitations à prix modique.

À la fin des années 50, début des années 60, avec un budget de construction d’un peu plus de 10 millions de dollars, les Habitations Jeanne-Mance sont perçues comme un exemple de modernité dans le paysage urbain.

Le Red Light est alors identifié comme étant le secteur d’intervention à prioriser. Un quadrilatère délimité par les rues Ontario, Sanguinet, Saint-Dominique et les arrières lots de la rue Sainte-Catherine est défini, et la démolition des bâtiments s’y retrouvant est enclenchée, mais non sans contraintes.

Le plan Dozois doit faire face à l’opposition du maire de Montréal, Jean Drapeau, qui considère qu’un projet de 24 millions pour la démolition de taudis et la reconstruction de logements abordables dans un secteur où règne la prostitution ne réglera pas le problème. Selon le maire, il vaudrait mieux construire des maisons unifamiliales bordées de jardins sur le flanc ouest du mont Royal. Avec l’appui du gouvernement fédéral, principalement de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), Paul Dozois a gain de cause. Le projet est révisé, fignolé, et la construction débute officiellement en 1958.

Un projet d’envergure

C’est ainsi que le tout premier et, encore à ce jour, le plus grand projet de rénovation urbaine au Québec est né. Même si huit années se sont écoulées entre sa planification et sa réalisation, cet ensemble d’habitations aura permis de revitaliser un secteur problématique et de loger plus de 2 700 personnes à une époque critique sur le plan socio-urbanistique.

À la fin des années 50, début des années 60, avec un budget de construction d’un peu plus de 10 millions de dollars, les Habitations Jeanne-Mance sont perçues comme un exemple de modernité dans le paysage urbain. L’ensemble comprend cinq îlots résidentiels, cinq tours, quatorze multiplex en rangée et 50 maisons de ville, pour un total de 788 logements. La densité est priorisée et essentielle.

Aujourd’hui, le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) 2030 favorise fortement le développement par densité, tout comme le programme LEED (Leardership in Energy and Environmental Design). Près de 70 ans plus tard, on parle toujours du même concept.

Un fait intéressant, les espaces verts occupaient à l’époque 60 % de la superficie totale du site. Un ratio qui se rapproche de ce que l’on tente de retrouver dans nos projets actuels, et dont les visées écologiques et les tendances en conception écoénergétique d’aujourd’hui veulent nous amener. D’ailleurs, les arbres maintenant matures sont emblématiques dans le secteur, apportant fraîcheur et légèreté pour l’œil du passant piégé dans un paysage de béton et d’asphalte.

Un plan de rénovation majeur

Au fil du temps, les Habitations Jeanne-Mance ont connu leur lot de noirceur et la criminalité s’y est incrustée. Ce secteur a été témoin de plusieurs actes de violence au début des années 2000, menant à l’implantation d’une politique de tolérance zéro. Cette action sera suivie, en 2006, d’un plan majeur de rénovation.

Au total, 32 millions de dollars sont alors investis pour la réfection de la plomberie, de l’électricité et du système de chauffage. Le remplacement des portes, des fenêtres et des ascenseurs est aussi planifié. La rénovation des logements est également prévue et les locataires peuvent choisir les finis, instaurant ainsi un sentiment d’appartenance à leur milieu de vie.

Dans son plan d’ensemble, on favorise l’aménagement des espaces verts en diminuant du même coup la quantité de béton. On tente de désenclaver ce lotissement en l’intégrant à la trame urbaine afin qu’il perde son étiquette de « ghetto ».

Un nouveau milieu de vie

Aujourd’hui, en plus de la diversité de bâtiments qu’offre ce complexe d’habitations, on y retrouve des espaces publics pour tous les goûts et tous les âges. La présence de terrains de jeux, de terrains de basketball et de pétanque, de jardins sertis de roseraies, de parcours piétonniers bordés de lieux de détente, de murales créatives à admirer et même d’un verger offre une mixité et favorise l’appropriation du site par les occupants, créant ainsi un sentiment de fierté.

Environ 1 700 personnes provenant de 70 pays vivant sur 7,7 hectares de terrain, un village en plein cœur du centre-ville de Montréal, voilà ce qui compose aujourd’hui les Habitations Jeanne-Mance. Un projet d’ensemble critiqué depuis sa conception, ayant connu noirceur, difficultés et contrariétés, mais qui a su se réinventer et renaître pour le plus grand bien du paysage urbain et des citoyens.

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Marie-Pier Germain

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