Lois et règlements

La résiliation-sanction : quelles sont les conditions à respecter?

Sur un chantier, un client vous informe qu’il a décidé de résilier le contrat d’entreprise[1] qui vous lie. Surpris, vous lui demandez pourquoi. Il répond que les travaux que vous avez effectués sur son immeuble à logements ont été mal exécutés, et ce, contrairement aux règles de l’art. Il vous informe avoir déjà engagé un autre entrepreneur pour apporter les correctifs nécessaires sur cet immeuble.

Le mois suivant, ce client vous transmet une mise en demeure. Il exige le remboursement des coûts des travaux réalisés par cet autre entrepreneur, à défaut de quoi, une poursuite sera intentée contre vous.

Récemment, un huissier vous a remis un document intitulé « Demande introductive d’instance ». La poursuite civile est donc intentée. Selon vous, le recours est-il légitime? Pouvez-vous le contester?

Les régimes de résiliation

Le Code civil du Québec prévoit des régimes de résiliation à l’égard du contrat d’entreprise : la résiliation unilatérale[2] et la résiliation-sanction (aussi appelée résiliation pour faute)[3].  La distinction entre ces régimes est importante puisque chacun a ses propres règles, notamment quant à l’attribution des dommages.

  • La résiliation unilatérale

Un client a le droit de résilier unilatéralement un contrat d’entreprise, et ce, même si la réalisation de l’ouvrage a déjà été entreprise[4]. Le client peut exercer ce droit en tout temps, à sa discrétion, à condition de respecter les exigences de la bonne foi. Il n’a pas à donner de motif, ni à transmettre un préavis ou une mise en demeure, ou encore à démontrer une quelconque faute de l’entrepreneur.

En revanche, le client doit payer à l’entrepreneur, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses encourus, la valeur des travaux exécutés avant la notification de la résiliation, ainsi que la valeur des biens fournis. De plus, le client est tenu d’indemniser l’entrepreneur pour le préjudice subi. Cette notion de préjudice doit être interprétée restrictivement. Un entrepreneur ne pourrait pas être indemnisé pour la perte d’un profit éventuel ou futur. Toutefois, il pourrait réclamer, notamment, la perte de profit des travaux déjà exécutés ainsi que des déboursés, par exemple, la location d’une machinerie ou d’un équipement particulier nécessaire à l’exécution des travaux.

  • La résiliation-sanction

La résiliation-sanction permet au client de résilier un contrat d’entreprise lorsque l’entrepreneur a commis une faute. Le client a alors droit à une indemnisation pour les dommages subis découlant de cette faute. Certaines conditions doivent être respectées pour pouvoir résilier un contrat d’entreprise pour faute.

  • L’inexécution de l’obligation doit être injustifiée. De plus, cette inexécution doit être substantielle ou répétitive[5].
  • Le client doit transmettre une mise en demeure à l’entrepreneur, en indiquant clairement les manquements reprochés[6]. La mise en demeure doit informer l’entrepreneur qu’il est tenu de remédier à son défaut à l’intérieur d’un délai précis, à défaut de quoi, le contrat sera résilié. Aussi, la mise en demeure doit informer l’entrepreneur qu’il devra rembourser les coûts des travaux correctifs qui ont dû être réalisés par un autre entrepreneur pour remédier à son manquement.
  • Le délai accordé à l’entrepreneur dans la mise en demeure pour exécuter les travaux doit être raisonnable selon les circonstances.

La loi prévoit certaines exceptions à l’obligation du client de transmettre une mise en demeure à un entrepreneur[7]. Par exemple, lorsqu’un entrepreneur est informé de malfaçons qui découlent de son exécution de travaux sur un ouvrage et que celui-ci indique clairement à son client son refus de corriger la situation. Dans ces circonstances, l’entrepreneur se trouve donc en demeure de plein droit, par le seul effet de la loi, et le client serait alors justifié de considérer le contrat comme étant résilié, sans aucune autre formalité[8].

L’examen des circonstances

En cas de résiliation d’un contrat d’entreprise, le tribunal examine les circonstances d’une affaire pour identifier la cause de cette résiliation afin d’identifier les règles applicables. Chaque cas est un cas d’espèce.

Si la preuve révèle qu’un client a résilié un contrat d’une manière fautive, par exemple en omettant de transmettre une mise en demeure, le tribunal peut statuer qu’une telle résiliation a été imposée sans droit[9] et accueillir la réclamation de l’entrepreneur concerné. Le client pourrait être tenu de le compenser pour la valeur des travaux exécutés et des matériaux fournis, ainsi que des dépenses encourues (ex. : coûts de livraison de matériaux engagés par l’entrepreneur) à la date de la résiliation du contrat. De même, le client pourrait être tenu de l’indemniser pour la perte des profits anticipés, à titre de dommages[10], en raison de la résiliation illégale du contrat.

La conclusion

Les règles encadrant la résiliation du contrat d’entreprise varient selon les circonstances.  Les droits et obligations du client et de l’entrepreneur doivent être analysés en fonction du contexte particulier dans lequel ils se trouvent. Rappelons que chaque cas est un cas d’espèce.

L’entrepreneur a l’obligation de réaliser un ouvrage selon les usages, les règles de l’art et en conformité avec le contrat[11]. Il doit collaborer avec le client, particulièrement lorsque des malfaçons ou des déficiences affectent un ouvrage. En revanche, le client peut résilier unilatéralement un contrat d’entreprise ou le résilier pour faute, à la condition de respecter certaines formalités.

Si vous avez des questions en matière de contrat d’entreprise, nous vous invitions à communiquer avec les Services juridiques de l’APCHQ aux numéros suivants : 438 315-6888 ou1 800 468-8160.


[1] Article 2098 du Code civil du Québec (ci-après C.c.Q.): Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

[2] Nous référons aux articles 2125 et 2129 C.c.Q.

[3] Voir les articles 1590, 1604 et 1605 C.c.Q.

[4] Texte Québec habitation : Résiliation unilatérale d’un contrat d’entreprise par un client: que pouvez-vous réclamer?

[5] Groupe Macadam Inc. c. Ville de Lévis, 2020 QCCA 13, par. 50.

[6] Voir: articles 1590, 1595, 1602 et 1604 C.c.Q.; Myette c. 3343766 Canada Inc., 2016 QCCS 682, par.150.

[7] Article 1597 C.c.Q.

[8] Article 1605 C.c.Q.

[9] Neptune Sécurité Services Inc. c. Ville de Québec, 2020 QCCS 1627, par. 132.

[10] Article 1611 C.c.Q.

[11] Article 2100 C.c.Q.

À propos de l'auteur

Me Martin Villa et Me Marc Bergeron

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