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Et si c’était en bois et préfabriqué?

Myriam Drouin
Écrit par Myriam Drouin

Depuis une quinzaine d’années, la construction en bois prend des parts importantes au Québec sur les marchés de la construction multirésidentielle, commerciale, institutionnelle et industrielle.

Le développement de la chaîne de valeur et les avantages environnementaux du bois expliquent en partie le retour en force de ce matériau. La préfabrication gagne également du terrain sur ces marchés, puisqu’elle permet notamment de raccourcir les échéanciers de projets et de mieux contrôler la qualité. Pour construire en bois et de façon préfabriquée, il est toutefois préférable de concevoir dès le départ en fonction des contraintes et avantages spécifiques à ce matériau et à ce mode constructif afin de maximiser les bénéfices de ces pratiques.

Il arrive cependant que des clients souhaitent explorer des systèmes structuraux ou des modes de construction alternatifs pour un bâtiment déjà conçu. Dans ce cas, on peut se demander quels sont les principaux impacts de ces changements sur le design du bâtiment, et aussi d’un point de vue opérationnel, sur la logistique du projet. 

Dans le but de comprendre comment seraient affectées la conception et la construction d’un bâtiment existant construit en béton, s’il avait été préfabriqué en bois, Marie-Laure Filion, candidate à la maitrise en ingénierie, a réalisé un projet de recherche au sein de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois de l’Université Laval, sous la direction de Sylvain Ménard de l’Université du Québec à Chicoutimi, et la codirection de Carbo Carbone, de l’Université du Québec à Montréal.

FIGURE 1 – Aperçu de deux des bâtiments du Club Med de Charlevoix
Source : Club Med

Cette étude multidisciplinaire a plus spécifiquement exploré l’impact de transformer un bâtiment existant en béton, en un bâtiment préfabriqué en bois, soit le bâtiment B du Club Med de Charlevoix, situé sur les rives du fleuve Saint-Laurent, à Petite-Rivière-Saint-François. Ce bâtiment hôtelier a été utilisé comme référence pour deux systèmes structuraux, soit un système poteau-dalle en bois massif et un système modulaire, tous deux préfabriqués. D’ailleurs, l’étude cherchait notamment à démontrer la nature multidisciplinaire d’un projet préfabriqué en bois.

Le bâtiment en question est un bâtiment de huit étages (25 m) côté fleuve, et de six étages (19 m) côté montagne. Il occupe une superficie totale de 6 582,28 m² et une empreinte au sol de 994,52 m². Le bâtiment B n’abrite que des chambres d’hôtel. On y retrouve un total de 116 chambres, de cinq types différents (Tableau 1).

TABLEAU 1 – Les différents types de chambres du bâtiment B et leurs caractéristiques

Lorsqu’un bureau d’études reçoit une demande pour suggérer une alternative aux plans en béton armé d’un bâtiment, l’objectif est de maximiser ses options sans trop transformer la conception initiale du bâtiment. Ainsi, en début de projet, une discussion a eu lieu avec le bureau d’études qui a élaboré la conception initiale de l’hôtel en béton dans le but de s’assurer que les contre-propositions développées dans ce projet de recherche répondraient aux contraintes initiales. La rencontre visait également à déterminer les principaux paramètres à prendre en compte pour optimiser l’usage du bois et de la préfabrication. À l’issue de cette réunion, cinq paramètres essentiels et trois paramètres optionnels ont été proposés pour guider le projet.

Les paramètres essentiels sont les suivants : 1) conserver les deux premiers étages uniquement face à l’eau, l’autre côté étant face à la paroi rocheuse, 2) respecter le même code de construction et 3) conserver une organisation du bâtiment, des dimensions et un nombre d’étages similaires. Parmi les paramètres souhaitables, mais moins critiques, on souhaite conserver un nombre égal ou légèrement supérieur de chambres de type G0 (pour les employé.e.s), conserver une disposition similaire des colonnes et conserver un nombre similaire de pièces de chaque type.

À la suite de ces discussions s’en est suivie l’analyse de « reconception » du complexe hôtelier dans un esprit de préfabrication en bois. Cette analyse a pris forme à travers une étude multidisciplinaire prenant en compte des aspects d’architecture, de génie industriel et de génie civil et a mené à différentes itérations pour explorer les possibilités de disposition et de dimensionnement des éléments structuraux. Par la suite, une analyse par élément fini sur le logiciel RFEM de Dlubal a été réalisée pour les trois scénarios retenus afin de s’assurer de l’intégrité structurale. Les résultats de ces analyses furent combinés dans une analyse finale au sein de laquelle une évaluation sommaire des impacts environnementaux des scénarios retenus a également été réalisée. À la lumière de ces analyses, quelques conclusions et recommandations furent tirées par l’équipe de projet.

Stratégie 1 : colonnes et dalles en bois massif

La première stratégie explorée fut celle d’un système poteau-dalle en bois massif. Similaire au système actuel en béton armé, ce premier système est composé de colonnes en bois lamellé-collé et de dalles en panneaux de bois lamellé-croisé, mieux connus sous le nom de CLT pour cross-laminated timber. Bien que les systèmes soient similaires, cette conversion nécessite tout de même des modifications aux plans initiaux puisque ces matériaux ont des dimensions, résistances et portées différentes.

En construction traditionnelle en béton armé, les colonnes traversent généralement le bâtiment de bas en haut, au même point où se transmettent les charges gravitationnelles. Dans un hôtel, les murs des chambres sont généralement alignés sur les mêmes axes que les colonnes. En concevant les chambres en suivant cette trame structurale, on évite la présence de colonnes dans les espaces ouverts.

Le passage d’une structure en béton vers le bois implique une toute nouvelle trame structurale, car le bois est optimisé avec des portées plus petites. Des colonnes plus nombreuses ou de plus grandes dimensions sont donc nécessaires pour atteindre la même performance. D’un point de vue architectural, si des colonnes sont ajoutées, elles doivent être placées aux intersections des pièces, aux angles des pièces, ou encore aux intersections entre les pièces et les couloirs afin d’éviter qu’il y ait des colonnes dans les pièces. Si l’on choisit plutôt de surdimensionner les colonnes, elles ne doivent l’être que dans l’espace des chambres puisque les couloirs sont déjà conçus avec les dimensions minimales autorisées par le code de construction.  

Pour ce qui est des dalles de CLT, la géométrie et la trame structurale du bâtiment existant ne sont pas optimales pour ce matériau et engendraient des coûts supplémentaires. Pour être optimal et économique d’un point de vue industriel, le plan du bâtiment devrait suivre une grille modulaire de panneaux de 2,7 m de large, car c’est généralement ce que les fabricants canadiens peuvent produire.

Stratégie 2 : modules préfabriqués en CLT

La seconde option explorée est celle de la préfabrication modulaire, qui permet l’un des plus hauts niveaux de préfabrication, donc de gains en temps au chantier. L’ossature légère en bois est le système constructif le plus commun utilisé pour la fabrication de tels modules. Toutefois, le Code national du bâtiment en vigueur au Québec ne permet pas de dépasser six étages pour la construction en ossature légère en bois, alors que le bâtiment à l’étude occupe huit étages côté fleuve. Ainsi, des modules préfabriqués en panneaux de CLT ont été considérés dans l’analyse.

Lorsqu’on utilise la préfabrication par modules dans un contexte hôtelier, on considère généralement un module par chambre. La disposition des pièces doit être aménagée de manière que les modules s’empilent parfaitement, signifiant que des modules avec des largeurs identiques doivent se retrouver au même endroit d’un étage à l’autre. Dans le bâtiment actuel du Club Med de Charlevoix, les cloisons ne sont pas systématiquement alignées d’un étage à l’autre, ce qui a imposé un réaménagement de la disposition actuelle des chambres pour éviter des problèmes de connexion et d’empilement des modules.

En effet, l’alternative modulaire volumétrique impliquait de réorganiser les pièces afin que les modules utilisés permettent de conserver le même nombre et le même type de pièces dans le bâtiment final. Ce réaménagement doit toutefois être réfléchi de façon à répondre simultanément à plusieurs contraintes liées aux fonctions des chambres ainsi qu’aux normes de construction et de transport. D’une part, la largeur des modules doit en effet être adaptée pour respecter les contraintes de transport et doit être optimisée en fonction du processus de construction et du type de chambres. Le poids des modules doit également être pris en compte de façon à optimiser le transport et la manipulation des modules.

La qualité de l’acoustique doit également être prise en considération dans l’équation puisque ça peut être un enjeu en présence de préfabrication par module, vu le dédoublement des parois. La réflexion a mené à la conclusion que l’idéal serait d’avoir un ou deux modules par chambre et de construire des couloirs avec des panneaux CLT afin de limiter la propagation du bruit. De plus, les couloirs en CLT permettent d’offrir un espace suffisant pour le passage de la mécanique du bâtiment. Les dimensions des couloirs imposent aussi des contraintes importantes sur ce repositionnement des chambres. Ils ont été dimensionnés en fonction de la dimension minimale par personne pour l’évacuation en cas d’incendie, ainsi ce dimensionnement ne permet pas beaucoup de latitude. Enfin, le type de chambre dicte leur positionnement. Par exemple, les chambres plus luxueuses sont généralement placées côté fleuve et dans les étages les plus hauts pour s’assurer qu’elles ont la plus belle vue. Elles doivent toutefois être disposées de manière à s’empiler parfaitement, avec des largeurs identiques à celles des chambres du dessous.

Compte tenu de tous les concepts susmentionnés, plusieurs itérations ont été effectuées pour obtenir la solution finale proposée. Une géométrie modulaire alternative à l’agencement en béton a été proposée pour le Club Med Charlevoix, comme le montre la Figure 2. Cette nouvelle proposition permet quatre chambres de plus, en comparaison à la disposition actuelle.

FIGURE 2 – Disposition des cloisons sur les huit étages de la répartition modulaire proposée par les chercheurs

Pour optimiser le projet, les chercheurs suggèrent que le chantier possède une zone de transit pour stocker temporairement les modules avant qu’ils ne soient assemblés. Ils concluent également que l’usage du BIM (Building Information Modeling) est essentiel pour assurer une bonne communication et la collaboration entre les différentes parties impliquées dans les projets de construction modulaire volumétrique, vu la nature multidisciplinaire d’un projet préfabriqué en bois.

Impact environnemental des scénarios architecturaux étudiés

FIGURE 3 – Émissions de GES par matériaux pour les trois scénarios évalués (kg éq. CO₂)

Une analyse des impacts environnementaux des trois scénarios de bâtiments retenus à la suite des itérations des étapes précédentes a été réalisée avec l’outil Gestimat, développé par Cecobois en collaboration avec le Fonds vert du gouvernement du Québec. Le scénario 1 correspond au bâtiment actuel en béton, le scénario 2 au bâtiment à colonnes et dalles de bois massif, et enfin le scénario 3 réfère au bâtiment en modules préfabriqués à ossature légère en bois. Pour ce faire, les quantités de matériaux ont été estimées pour construire chaque scénario. Les résultats obtenus sont présentés à la Figure 2. Ils démontrent que le scénario actuel, en béton, génère plus de trois fois d’émissions de gaz à effet de serre (GES) que ceux en bois. En effet, ce calcul a montré une réduction pour les scénarios bois de 812 661 kg CO2 pour le béton armé à 254 415 et 274 154 kg CO2 pour le bois massif et la préfabrication modulaire, respectivement. Ainsi, si l’on compare les scénarios en bois, le scénario en bois massif est celui qui génère le moins de GES, mais l’écart est somme toute faible. Dans les trois scénarios, l’impact des fondations et du toit a été négligé.

Conclusion

Lorsqu’un bâtiment est conçu, le choix du matériau de structure influence le design du bâtiment en raison des contraintes portées par chaque matériau. Ainsi, si l’on souhaite convertir un bâtiment pensé à la base pour un matériau de structure vers un autre matériau, des changements aux plans s’imposent. Ce projet a mis en lumière les adaptations nécessaires d’un point de vue architectural et d’ingénierie pour convertir un bâtiment multiétage en béton, et ce, pour la préfabrication en bois. L’analyse a porté à la conclusion que les structures en bois peuvent constituer des alternatives viables aux structures en béton armé. Toutefois, les plans doivent être adaptés pour optimiser le bâtiment selon les contraintes des matériaux et de la préfabrication. Les systèmes en bois préfabriqués requièrent des niveaux plus élevés d’intégration de toutes les parties prenantes lors de la conception.

Ce projet a mené à la publication de l’article scientifique suivant :

Filion, M.-L.; Ménard, S.; Carbone, C.; Bader Eddin, M. Design Analysis of Mass Timber and Volumetric Modular Strategies as Counterproposals for an Existing Reinforced Concrete Hotel. Buildings 2024, 14, 1151. https://doi.org/10.3390/buildings14041151.  

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Myriam Drouin

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