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Un grand chantier pour rénover le parc locatif

Écrit par Paul Cardinal

Alors que plusieurs programmes provinciaux tels que Rénoclimat et Chauffez vert(1) ou encore la Subvention canadienne pour des maisons plus vertes visent principalement les maisons ou les petits immeubles locatifs, il n’y a pas de programme destiné à la rénovation pour les propriétaires bailleurs. En fait, non seulement il n’y a pas de mesures incitatives en ce sens, il y a plutôt deux freins importants à la rénovation des logements locatifs.

Beaucoup de logements locatifs en mauvais état

Le Québec est, de loin, la province qui compte le plus de logements locatifs au pays. Selon la dernière enquête de la SCHL sur le marché locatif(2), on dénombre un peu plus de 890 538 appartements locatifs privés dans la belle province(3), loin devant l’Ontario où l’on en compte quelque 703 962. C’est aussi au Québec que le parc de logements locatifs est le plus vieux au pays, avec 39 % des unités construites avant 1960 et une moyenne d’âge de 43 ans. Rappelons que les immeubles construits avant 1984 ont de 67 % à 172 % plus de besoins thermiques que ceux construits après 2011(4).

En ce qui a trait à l’état du parc locatif, il faut se rabattre sur les données du recensement de 2016. Près d’un logement locatif sur trois (31 %) au Québec a besoin de réparations. Par surcroît, 7 % ont besoin de réparations majeures(5), c’est-à-dire que la plomberie ou l’installation électrique est défectueuse ou que les logements ont besoin de réparations structurelles aux murs, sols ou plafonds. Mais cette dernière donnée sous-estime certainement les besoins réels, puisque le questionnaire du recensement s’adresse à l’occupant et non au propriétaire de l’immeuble. Or, les locataires sont rarement en mesure d’évaluer la véritable ampleur des travaux de structure dont l’immeuble a besoin, leur perception étant le plus souvent basée sur l’apparence intérieure de leur logement. Si l’on se fie plutôt à un sondage réalisé par la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) en 2016 auprès de propriétaires d’immeubles, ce sont 17 % des immeubles qui nécessitent des rénovations majeures (réparation de fondations, réfection de mur, tuyauterie, électricité, remplacement de plancher, réfection du toit, escalier, balcon, etc.) pour une dépense médiane de 10 000 $ par logement, mais bien sûr les coûts seraient beaucoup plus chers aujourd’hui. Ces taux sont donc beaucoup plus élevés que le laissent croire les statistiques du recensement canadien.

Avec un peu plus d’un million de logements et un parc vieillissant, il y a un potentiel énorme en rénovation de logements locatifs au Québec afin d’en améliorer l’efficacité énergétique et réduire les émissions de GES.

Deux freins majeurs à la rénovation de logements locatifs

Le parc de logements locatifs québécois a ainsi de grands besoins d’investissement en rénovation. Mais les critères de fixation de loyer du gouvernement du Québec utilisés par le Tribunal administratif du logement représentent un frein en fixant à des niveaux minimes les augmentations de loyer permises à la suite des travaux majeurs d’entretien ou d’amélioration. Depuis les années 70, le règlement accorde aux propriétaires le même taux de rendement sur des rénovations qu’un placement garanti par une banque, plus un point de pourcentage. Par exemple, en 2020, ce taux de rendement annuel était de 3,1 %, ce qui implique qu’il fallait 32 ans pour que les propriétaires récupèrent les sommes investies. Pour 2021, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) prévoit que le taux de rendement devrait baisser à 2,3 %, ce qui équivaudra à un amortissement record de 43 ans.

Dans le cas de travaux visant à améliorer la performance énergétique et environnementale d’un immeuble, comme l’isolation des murs et des toits, l’étanchéisation, l’installation de nouvelles portes et fenêtres EnergyStar(6) ou le remplacement d’un système de chauffage qui utilise des combustibles fossiles par un chauffage à l’électricité, les économies d’énergie réalisées devraient réduire les frais d’exploitation courants, ce qui aiderait alors les propriétaires à rentabiliser leurs rénovations. Sauf que trois fois sur quatre, les frais de chauffage sont à la charge des locataires. Les propriétaires bailleurs ne bénéficiant pas de la réduction de la facture de chauffage, ils ne tirent aucun bénéfice direct de l’amélioration de l’efficacité énergétique de leur immeuble. Et il serait bien sûr complètement utopique de penser que les locataires eux-mêmes paieraient pour de tels travaux, pour un immeuble qui ne leur appartient pas.

Un sondage réalisé par la CORPIQ et l’APCHQ en 2016 est révélateur : malgré une proportion importante de logements ayant besoin de rénovations, l’amélioration de l’efficacité énergétique était une motivation pour entreprendre des travaux pour seulement 22 % des propriétaires. Pourtant, 77% des propriétaires reconnaissaient la nécessité d’améliorer l’efficacité énergétique de leur immeuble.

La mise en place d’une mesure d’aide pouvant prendre la forme d’un crédit d’impôt remboursable ou d’une subvention correspondant à 30 % des dépenses admissibles de rénovation pour des logements locatifs aurait un impact sans équivoque. Selon les résultats du sondage APCHQ-CORPIQ 2016, une aide gouvernementale se situant entre 30 % et 39 % de la valeur des travaux indique qu’une forte proportion de propriétaires investiraient pour améliorer l’efficacité énergétique de leur immeuble, puisque :

  • plus de 56 % de l’ensemble des répondants seraient intéressés à réaliser des travaux de rénovation pour améliorer l’efficacité énergétique;
  • 64 % des répondants qui avaient prévu réaliser des rénovations pour améliorer l’efficacité énergétique investiraient davantage;
  • 49 % des répondants qui ne prévoyaient pas réaliser de travaux effectueraient des rénovations pour améliorer l’efficacité énergétique.

Nous estimons que cela permettrait d’atteindre la cible réaliste de rénover 25 % des logements locatifs au Québec sur une période de cinq ans, soit 250 000 logements, et que cela représenterait 3,25 milliards de dollars en investissements privés.

Sur le plan de la demande d’énergie, nous estimons que la rénovation de quelque 185 000 logements chauffés à l’électricité engendrerait des économies d’électricité annuelles et permanentes de 530 gigawattheures. La rénovation de quelque 45 000 logements chauffés au mazout ou au gaz naturel entraînerait, quant à elle, des économies d’énergie fossile annuelles et permanentes équivalentes à 170 gigawattheures. De tels travaux seraient accompagnés d’économies annuelles moyennes de chauffage de 227 $ par logement rénové, ce qui serait bénéfique aux locataires qui assument eux-mêmes les frais de chauffage.

Dans le cadre des consultations prébudgétaires 2022-2023, l’APCHQ recommande au gouvernement du Québec :

  • D’instaurer une aide financière pour stimuler les travaux de rénovation écoénergétiques des immeubles locatifs. Comme mentionné plus haut, l’aide pourrait prendre la forme d’un crédit d’impôt remboursable ou d’une subvention correspondant à 30 % des dépenses de rénovation admissibles. L’électricité ainsi économisée pourrait en retour servir à électrifier les transports ou d’autres industries, ou encore être destinée à l’exportation. Finalement, les locataires ayant les frais de chauffage à leur charge pourraient réaliser des économies monétaires.
  • De revoir les règles de fixation des loyers dans le cas de travaux de rénovation majeurs. Le TAL devrait revoir sa méthode de fixation des loyers afin de permettre une meilleure rentabilité non seulement des travaux de rénovation écoénergétiques, mais aussi de tous les travaux de rénovation majeurs, afin d’améliorer la qualité des logements et freiner la détérioration actuelle du parc locatif. Actuellement, le rendement accordé aux propriétaires bailleurs ne leur permet de récupérer leurs dépenses en rénovation que sur un horizon exagérément long, ce qui dissuade la majorité des locateurs à entretenir et rénover leurs immeubles.

(1) Les habitations admissibles à ces deux programmes sont les maisons, les duplex, les triplex et les immeubles à logements multiples d’au plus trois étages hors-sol et d’une superficie au sol maximale de 600 m2. (2) Enquête d’octobre 2020.
(3) Selon le dernier recensement, il y avait 1 362 000 locataires au Québec en 2016. C’est donc dire qu’il y a un nombre important de locataires qui se trouvent dans le marché locatif secondaire, comme des copropriétés en location. Il est aussi à noter que les duplex ne font pas partie de l’enquête locative de la SCHL.
(4) Rapport du Groupe-conseil sur la consommation énergétique des ménages, février 2018.
(5) Selon la SCHL, il y avait en 2016 exactement 227 040 logements nécessitant des réparations majeures et 921 675 des réparations mineures. Le reste (2 382 940) avait seulement besoin d’un entretien régulier. (6) Selon la zone climatique, l’installation de telles fenêtres entraîne des économies d’électricité variant de 109 $ à 200 $ par année (entre 10 % et 13 % de la facture d’électricité) ou encore des économies d’énergie de 82 $ à 147 $ pour les logements non chauffés à l’électricité (une réduction de 36 % à 41 % de la facture d’énergie pour le chauffage).

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Paul Cardinal

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