Un projet de loi n’est pas banal. Habituellement, il a pour but de changer des règles de société pour répondre, par exemple, aux nouvelles réalités d’aujourd’hui. Un projet de loi change des habitudes, et c’est la raison pour laquelle notre système parlementaire encadre minutieusement le processus afin que chaque vision soit entendue et que les intérêts de tous soient pris en compte. C’est le fondement même de notre démocratie.
C’est pourquoi réformer la Loi sur l’expropriation, tel que proposé cet automne, est loin d’être banal. La perception d’une grande majorité de la population est que l’expropriation ne les concerne pas ou peut être un thème particulièrement aride, ce qui est tout à fait compréhensible. Cependant, la réforme proposée vient ébranler le droit de propriété de tout un chacun, celui du propriétaire d’une maison en banlieue comme celui d’un grand promoteur immobilier. Un droit fondamental pourtant bien établi et défendu depuis plus d’un siècle.
Avec cette proposition de refonte, on pourrait vous exproprier, vous demander de quitter votre maison, parce que la municipalité veut utiliser votre terrain pour en faire un parc ou bien pour y construire une école. On vous dédommagerait à moindre coût, car le nouveau zonage pour de tels projets n’aurait plus la même valeur que l’ancien zonage résidentiel. Voilà un exemple clair et déconcertant qui démontre que vous pourriez être dépossédé de votre bien, et cela, sans compensation juste et équitable. Imaginez votre patrimoine durement accumulé au cours de votre vie, partir ainsi en fumée.
Le message est clair : le droit de propriété n’aurait plus la même valeur. Que vous habitiez dans votre domicile depuis un mois ou 30 ans, que vous soyez un aîné, un membre d’une famille nombreuse, une personne seule, rien de cela ne serait pris en compte avec la nouvelle loi. Le dédommagement serait au bénéfice de l’expropriant et non de l’exproprié.
Le risque est grand, les enjeux sont importants. La réforme de la Loi sur l’expropriation proposée va très loin. Le citoyen pourrait, du jour au lendemain, être dépossédé de son bien, mais aussi, les développeurs et les promoteurs pourraient craindre d’investir ici au Québec, car une épée de Damoclès planerait maintenant au-dessus de leur tête. Ce n’est rien de bon pour le dynamisme économique du Québec, et encore moins pour amenuiser la crise actuelle du logement.
À ce jour, le projet de loi est applaudi et appuyé presque à l’unanimité, et passera comme une lettre à la poste. Pourquoi? Parce qu’il est trop complexe techniquement et légalement, et l’analyse n’est faite qu’en surface. Il y a lieu de s’inquiéter.
À l’aube de l’étude du projet de loi article par article, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) appelle les parlementaires à être extrêmement vigilants. Le pouvoir d’exproprier est un pouvoir exorbitant et extraordinaire venant déposséder des individus et des entreprises de leur bien acquis, et cela, en toute légitimité. Il convient collectivement d’y accorder une grande attention, et surtout, une réflexion approfondie avant de changer la loi aussi drastiquement.