La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) poursuit un entrepreneur en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [1]. Elle lui reproche, en tant qu’employeur, d’avoir entrepris des travaux susceptibles d’émettre de la poussière d’amiante, et ce, sans avoir déterminé au préalable le type d’amiante présent dans les matériaux, contrairement à ce que stipule le Code de sécurité pour les travaux de construction[2]. En l’espèce, les travaux visaient à réparer la toiture d’un immeuble à logements en raison de la survenance d’un sinistre.
Selon la CNESST, après la visite d’un inspecteur, une expertise a confirmé la présence d’amiante dans des morceaux de bardeaux de toiture retrouvés sur le chantier.
L’entrepreneur conteste la poursuite pénale. Il allègue que le Code ne mentionne pas que des matériaux de bardeaux de toiture puissent contenir de l’amiante. De plus, l’entrepreneur soutient qu’il appartient au donneur d’ouvrage de l’informer. L’entrepreneur a-t-il raison?
Des principes juridiques
L’article 3.23.3 du Code se lit comme suit :
Avant d’entreprendre des travaux susceptibles d’émettre de la poussière d’amiante, l’employeur doit déterminer les types d’amiante présents dans les matériaux.
Cet article doit être interprété avec les dispositions de la Loi. Celle-ci a pour objectif l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des travailleurs[3]. La Loi impose des obligations à l’employeur. Il doit notamment prendre des mesures nécessaires pour identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur[4]. Les tribunaux interprètent la Loi et les règlements qui en découlent d’une manière large et libérale afin de respecter la finalité voulue par le législateur[5].
Bien que le Code ne précise pas explicitement tous les types de matériaux pouvant contenir de l’amiante, l’employeur et le maître d’œuvre ont des obligations importantes[6]. Ils doivent identifier le risque, plus particulièrement « des travaux susceptibles d’émettre de la poussière d’amiante ». Les tribunaux ont interprété ces termes comme référant à un critère de prévisibilité « raisonnable »[7]. Dans le cas de l’employeur, celui-ci doit prendre des mesures appropriées à des fins préventives. Par exemple, effectuer une visite des lieux, vérifier l’âge du bâtiment, prendre connaissance des plans et devis réalisés par l’ingénieur et s’informer auprès des personnes concernées (ex. : donneur d’ouvrage) quant à la possible présence d’amiante dans les matériaux.
L’examen par les tribunaux
Pour décider si la poursuivante (CNESST) a prouvé le manquement reproché, les tribunaux examinent entre autres :
- Les circonstances d’une affaire, notamment les démarches de l’entrepreneur pour vérifier la présence d’amiante dans les matériaux en cause.
- Le règlement applicable, par exemple le Code, pour déterminer s’il est indiqué que les matériaux en cause peuvent contenir de l’amiante. Dans certains cas, le Code fournit des informations à l’égard de certains matériaux susceptibles de contenir de l’amiante[8].
- La date de construction du bâtiment.
- La nature des matériaux utilisés pour la construction du bâtiment.
- La nature des travaux en cause.
- Le type de matériaux concerné par la présence d’amiante.
Quant à la nature des travaux, les tribunaux portent une attention particulière aux travaux de démolition, considérant qu’ils génèrent habituellement davantage de poussière d’amiante[9].
Le fardeau de la poursuivante
Pour prouver un manquement à l’article 3.23.3 du Code, la poursuivante doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments suivants :
- L’entrepreneur, en sa qualité d’employeur ou de maître d’œuvre, a entrepris des travaux susceptibles d’émettre de la poussière d’amiante.
- Il n’a pas déterminé au préalable le type d’amiante présent dans les matériaux.
- La preuve a révélé la présence d’amiante dans les matériaux en cause.
Les moyens de défense
Si le contexte le permet, l’entrepreneur peut contester l’infraction reprochée. Par exemple, il peut alléguer que la preuve de la poursuivante ne révèle pas, hors de tout doute raisonnable, que des matériaux étaient susceptibles d’émettre de la poussière d’amiante.
Par ailleurs, si la poursuivante prouve les éléments constitutifs de l’infraction, un employeur ou un maître d’œuvre peut présenter une défense d’erreur de fait raisonnable. Pour ce faire, il doit démontrer les éléments suivants :
- Qu’il croyait sincèrement que les matériaux en cause ne contenaient pas d’amiante, par exemple, en raison de l’absence d’indication à cet effet dans le contrat et les plans et devis, ainsi que suivant les vérifications effectuées auprès du donneur d’ouvrage.
- Que son erreur était raisonnable dans les circonstances. Le caractère raisonnable de l’erreur s’apprécie en fonction d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
La conclusion
Il est acquis que la présence d’amiante dans des matériaux constitue un risque pour la santé du travailleur. L’employeur et le maître d’œuvre ont un devoir de prévoyance qui exige d’identifier les travaux susceptibles d’émettre de la poussière d’amiante. De plus, l’employeur et le maître d’œuvre ont un devoir d’efficacité. Ils doivent prendre des mesures concrètes pour contrôler ou éliminer ce risque en procédant à la caractérisation des matériaux. La finalité de la Loi doit être respectée, c’est-à-dire éliminer à la source-même les dangers afin de s’assurer de protéger la santé des travailleurs.
Pour obtenir plus de renseignements sur les obligations lors de travaux susceptibles d’émettre de la poussière d’amiante, nous vous invitons à communiquer avec le Service de la santé et sécurité du travail de l’APCHQ au 438 315-6768 ou par courriel à service-sst@apchq.com.
[1] Chapitre S-2.1. Nous utiliserons le terme Loi dans le texte. Pour les annotations de page, la désignation sera LSST.
[2] Chapitre S-2.1. r.4. Le terme Code sera utilisé.
[3] Article 2 de la LSST.
[4] Article 51 (5) de la LSST.
[5] Sobeys Québec Inc. c. CSST, 2012 QCCA 1329.
[6] Article 196 LSST. Le maître d’œuvre a les mêmes obligations que l’employeur. Il doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique du travailleur de la construction.
[7] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Deshaies & Raymond Inc., 2013 QCCS 1062, par.19.
[8] Voir article 3.23.2 du Code. Par exemple, un carreau en vinyle, un joint d’étanchéité, un produit en amiante-ciment et un carreau d’isolation acoustique.
[9] CNESST c. 9248-4674 Québec Inc. (Beauregard expert en après sinistre), 2022 QCCQ 2655, par. 38.