La prévention en milieu de travail demeure l’objectif premier de tous employeurs au Québec. Malheureusement, malgré une connaissance approfondie des risques du milieu de travail, il peut survenir des situations qui sont, a priori, hors du contrôle de l’employeur et qui concernent davantage la sphère personnelle.
En proposant la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST), Jean Boulet, alors ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, voulait élargir les balises en droit du travail et protéger le plus possible les travailleurs et travailleuses québécois.e.s de toutes situations qui peuvent survenir sur les lieux de travail. C’est pour cette raison qu’il a imposé, depuis le 6 octobre 2021, une nouvelle obligation explicite en matière de protection contre la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel pouvant survenir sur les lieux du travail, que celle-ci soit physique ou psychologique.
L’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail se lit comme suit :
51. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique du travailleur. Il doit notamment :
[…]
16° prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel.
Aux fins du paragraphe 16° du premier alinéa, dans le cas d’une situation de violence conjugale ou familiale, l’employeur est tenu de prendre les mesures lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à cette violence.
Bien que les lieux de travail soient facilement identifiables, avec l’augmentation du nombre d’emplois en télétravail, cette obligation se voit transposée même dans la résidence privée des employé.e.s. Or, la question demeure : Comment un employeur, qui n’a aucun contrôle effectif dans un tel lieu, peut-il s’assurer de remplir son obligation?
L’expression « lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir » a obtenu par les tribunaux une interprétation large et libérale. L’employeur doit-il demeurer à l’affût de signes particuliers (retrait et évitement de la victime, diminution de la présence au bureau, absence de vidéo ouverte lors d’appels, diminution de la performance au travail …) ou doit-il attendre la divulgation de la problématique par la victime? Et si celle-ci refuse son aide, jusqu’où doit aller son obligation de protection? La situation de violence conjugale ou familiale étant de nature confidentielle, l’employeur ne peut forcer la victime à dénoncer la situation.
Dans de telles circonstances, il sera difficile pour l’employeur d’intervenir, mais il devra tout de même démontrer avoir pris les moyens raisonnables pour remplir son obligation.
- Des mesures préventives peuvent être mises en place (cette liste est non limitative) :
- Élaborer une politique de prévention de la violence familiale ou conjugale et la diffuser périodiquement;
- Informer et sensibiliser les employé.e.s en offrant :
– de la formation;
– des outils, numéros de téléphone de ressources d’aide spécialisée en matière de violence conjugale, affiches de sensibilisation placées sur les lieux de travail ou sur Intranet;
- Mettre en place des canaux de communication;
- Offrir un service de soutien et des ressources permettant à la victime ou à ses proches d’obtenir de l’aide.
- Si une situation de violence conjugale ou familiale est soupçonnée, certains moyens peuvent aider la victime :
- Favoriser le retour au travail en présentiel, ce moment au bureau pourrait offrir un répit à la victime. De plus, être entourée de gens bienveillants pourrait l’amener à se confier;
- Si la personne est en télétravail, rendre obligatoires les appels avec un système de visioconférence afin de favoriser les contacts visuels;
- Offrir des occasions pour favoriser et faciliter les discussions;
- Instaurer un service de raccompagnement (à la voiture, à la maison, etc.);
- Élaborer un plan de sécurité individuel pour la victime (filtrage des appels, changement de numéro de téléphone ou de courriel, nouveau lieu de travail, etc.);
- Assurer la confidentialité tout au long du processus;
- Obtenir le consentement de la victime préalablement à la transmission d’informations à un centre de soutien concernant la situation vécue.
Rappelons qu’en cas d’urgence, lorsque l’employeur a des motifs raisonnables de croire qu’un risque sérieux de mort ou de blessures graves menace un travailleur ou une travailleuse, l’employeur est en droit de divulguer la situation au service de police.
Dans un jugement récent, la Cour supérieure a accueilli une demande d’ordonnance de protection formulée par un employeur visant à protéger l’une de ses employées victime de violence psychologique sur son lieu de travail par son fils[1]. Dans cette affaire, la victime faisait l’objet de comportements agressifs, harcelants et violents de la part de son fils. Ce dernier l’appelait au bureau plusieurs fois par jour pour la menacer et l’intimider afin de lui soutirer de l’argent. Cette situation durait depuis plusieurs années, et ce, malgré l’aide apportée par l’employeur. La situation a dégénéré lorsque le fils s’est présenté sur les lieux du travail en proférant des menaces à l’égard de la sécurité de sa mère. Dès le lendemain, une demande d’ordonnance de protection était déposée et accordée visant à empêcher le fils de se rendre sur les lieux du travail de sa mère et de communiquer avec elle ou tout.e autre employé.e.
Évidemment, chaque situation devra faire l’objet d’une analyse par l’employeur afin de déterminer les mesures appropriées pour respecter ses obligations légales en matière de santé et de sécurité et du droit à la vie privée de ses employés.
N’hésitez pas à joindre Solution Santé Sécurité pour toutes informations supplémentaires.
[1] Trivium Avocats inc. c. Rochon, 2022 QCCS 4628