En 2020, les sites à développer sur l’île de Montréal sont une richesse de plus en plus rare. Bien qu’elles résistent encore aux promoteurs immobiliers, les maisons de type « shoebox » sont une cible prisée par ces derniers, qui voient en elles des occasions d’affaires en rentabilisant, par des immeubles d’habitation en copropriété, les terrains situés dans des quartiers de plus en plus populaires.
Bordées par des duplex ou des triplex centenaires, ces petites maisons détonnent dans le paysage urbain montréalais. Pourtant, elles sont emblématiques de notre histoire. Quand on connait leur origine, elles agissent comme une machine à voyager dans le temps, qui nous rappelle la fierté du passé ouvrier qui a forge une tranche importante de notre histoire architecturale, culturelle et sociale.
La genèse
Début du XXe siècle. Nous sommes en plein essor industriel, notamment en raison des chantiers de construction des chemins de fer et du Canadien Pacifique, qui installe son siège social à Montréal.
Les chantiers ferroviaires permettent aux ouvriers de s’établir en périphérie du centre-ville en s’offrant des terrains à prix abordables selon leur classe sociale. Les ouvriers peuvent alors se permettre d’être propriétaires et ainsi éviter les bidonvilles près du port. Cette accessibilité de la propriété devient une planche de salut pour se sortir de la misère et offrir de meilleures conditions à leur progéniture.
Sur leurs terrains acquis à la sueur de leur front, les ouvriers construisent donc les « shoebox », de petites maisons en forme de boites rectangulaires qui leur offrent indépendance et fierté.
Le style
Les « shoebox » sont qualifiées de style moderne, courant architectural spécifique au XXe siècle, qui découle de l’industrialisation, laquelle entraine des changements sociaux et culturels.
Ces maisons sans sous-sol sont ornées d’un toit plat permettant aisément l’expansion du bâtiment vers le haut. Les façades sont composées d’une fenestration régulière, mais étudiée et généreuse puisque la fonctionnalité de ce type de maison est une priorité.
Dans cette volonté de fonctionnalité, le plan est simple et l’espace est maximise. La petite superficie au sol joue dans les 600 à 800 pieds carrés. Un fait intéressant et probablement une heureuse surprise si on considère que la conception de ces maisons n’était pas réalisée par des professionnels, mais par les occupants eux-mêmes, est que la combinaison de la superficie au sol et de l’emplacement de la fenestration en fonction des espaces a eu pour effet que l’intérieur est très éclairé, donc très agréable à vivre.
Les matériaux
La richesse de ces maisons réside dans les matériaux avec lesquels elles ont été construites et la petite histoire qui les entoure. Érigées de gros madriers de bois montes pièce sur pièce et revêtues de briques pour les protéger contre le feu, ces petites maisons sont solides et résistantes. En façade avant, au centre, tout juste sous le débord de toit, on remarque généralement un appliqué de maçonnerie ou est grave un castor ou une feuille d’érable, symbole de notre culture et témoignage de la fierté des premiers propriétaires. Aujourd’hui, ces symboles tendent à disparaitre un a un au fil des rénovations.
En plus des boiseries et des murs de plâtre brosses à l’éponge, on retrouve toutes sortes de matériaux hétéroclites et originaux, allant de vieux journaux aux bois traites qui servaient à faire les rails des chemins de fer. Il n’est pas rare que les fondations soient constituées de ces madriers ou que l’on découvre des poutres faites de ce même bois dans le plafond, rappelant le contexte industriel de l’époque.
En réalité, les matériaux utilises étaient « empruntés à long terme » aux Shops Angus. Ce complexe industriel délimite par le chemin de fer du Canadien Pacifique (à l’ouest), les rues Rachel (au sud) et Bourdonnière (à l’est) et le boulevard Saint-Joseph (au nord), servait à l’époque a la production de matériel ferroviaire et s’étendait sur environ 4,7 hectares. Un site qui n’était pas très bien surveille. Les Shops Angus ont donc servi de centre de distribution de matériaux de construction « libre-service » aux constructeurs des « shoebox ». On construisait avec ce que l’on y trouvait.
Le patrimoine
À cette époque, cette immense manufacture employant près de 12 000 travailleurs a donné naissance au quartier Rosemont. C’est pourquoi on dénombre aujourd’hui près de 561 « shoebox », dont 234 ont un caractère architectural et patrimonial intéressant dans le secteur de Rosemont seulement. D’autres arrondissements de Montréal comme Ahuntsic, Lachine, Tetreaultville et Villeray comportent eux aussi leur nombre de « shoebox », mais Rosemont en demeure le secteur de prédilection.
Même si elles ont un potentiel patrimonial intéressant, ces petites maisons centenaires ne sont généralement pas protégées par un règlement municipal, outre le fait que les arrondissements demandent des justifications sérieuses pour la démolition de bâtiments. Toutefois, l’arrondissement de Rosemont a récemment émis une règlementation afin de préserver ces habitations emblématiques d’une tranche importante de notre histoire.
Pour 500 $ (l’équivalent d’environ 10 950 $ aujourd’hui), ces maisons qui offraient l’accès à la propriété il y a cent ans jouent toujours le même rôle aujourd’hui. Elles permettent a de premiers acheteurs et a des familles de s’offrir un chez-soi avec jardin en ville pour une somme variant entre 250 000 $ et 450 000 $. Elles assurent un certain équilibre entre l’accès à la propriété et le développement urbain à grande vitesse. Elles ont un rôle social, économique et patrimonial à jouer, c’est pourquoi il importe de les préserver.