Le printemps 2023 sera-t-il celui du virage en aménagement du territoire? Si nous sommes aujourd’hui des dizaines, de tous les domaines d’expertise et de la société civile, à signer ce texte pour exhorter le gouvernement à agir à la hauteur de l’enjeu, c’est que certains signaux ne sont pas rassurants. Bien que l’essentiel des principes d’un aménagement durable du territoire se retrouve dans la vision stratégique de la politique adoptée en juin dernier, nous attendons de les voir percoler dans le discours gouvernemental et surtout dans ses actions.
Les défis de notre époque sont presque tous liés à l’organisation de nos milieux de vie. Lourd bilan énergétique, pénurie en habitation, crise de la biodiversité, destruction du patrimoine et banalisation des paysages, vulnérabilité aux risques climatiques, pressions sur le territoire agricole, dégradation de la condition physique des enfants : tout cela trouve en partie sa source dans une organisation territoriale très loin d’être optimale.
Freiner l’étalement urbain, miser sur la sobriété foncière, la proximité et le verdissement, accroître la qualité architecturale et paysagère du cadre bâti, consolider les centres-villes et les noyaux villageois sont des stratégies efficaces et nécessaires pour protéger l’environnement et améliorer la santé de la population, favoriser l’équité et soutenir une certaine prospérité.
Quel que soit le problème, l’aménagement du territoire fait partie de la solution.
Si le gouvernement a bien saisi l’ampleur du défi et l’urgence d’agir, il doit présenter un plan de mise en œuvre de la politique qui soutienne, intègre et généralise le virage nécessaire dans les politiques publiques.
SOUTENIR
Tant à la planification qu’à la construction, il faut propulser des projets exemplaires partout au Québec. Car si elle permettra, à terme, des économies substantielles, la transformation des pratiques implique aussi des investissements. Par exemple, pour décontaminer des terrains stratégiquement situés, transformer des bâtiments, réaménager des rues et développer les transports collectifs et actifs.
Pour voir se multiplier les écoquartiers et les rues principales florissantes, et ainsi répondre en même temps à la crise du logement et à la crise climatique en créant des milieux de vie complets, il faut financer massivement des projets qui participent directement à l’objectif de la politique : un aménagement plus durable du territoire. L’absence de telles mesures incitatives, vastement réclamées, constituerait une véritable rebuffade.
INTÉGRER
Tous les ministères et organismes prennent des décisions qui vont s’ancrer durablement sur le territoire. Une réelle exemplarité de l’État et le développement d’un réflexe de cohérence territoriale, dans tous les secteurs et à toutes les échelles, sont indispensables au succès de la politique.
Pensons à la localisation du futur hôpital à Gatineau, où la mobilisation locale a permis d’éviter ce qui promettait d’être une erreur monumentale, en rappelant au gouvernement l’importance d’un emplacement central et accessible en transport en commun.
D’ailleurs, parmi les clés de succès, il est nécessaire d’accroître la planification intégrée de deux concepts qui ont été par le passé trop souvent traités en silo, soit l’aménagement et les transports.
GÉNÉRALISER
Il faut un leadership gouvernemental fort : les enjeux sont trop collectifs pour s’en remettre uniquement au sens des responsabilités dans chacune des collectivités québécoises. De plus, comme plusieurs acteurs municipaux l’ont souligné, les municipalités sont en concurrence pour attirer de nouvelles familles, de nouveaux emplois, des commerces, etc.
Celles qui prennent sans attendre le virage d’un urbanisme plus durable doivent être saluées. Mais pour assurer l’équité et faire en sorte que l’exception devienne la norme, l’État doit changer les règles pour toutes. Sans quoi, l’étalement urbain endigué à un endroit risque fort de déborder à un autre endroit.
ACCÉLÉRER
Avec le plan de mise en œuvre de la politique nationale, il faudra agir vite, efficacement et partout. Réviser la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme est, à cet égard, une avenue pertinente. Mais pour porter ses fruits, cette révision législative ne peut pas et ne doit pas se limiter à un simple rafraîchissement des procédures. La nouvelle loi devra rendre obligatoires de réels changements de pratiques. Même chose pour les orientations gouvernementales en aménagement du territoire.
Le temps presse. Chaque mois de retard revient à s’enliser plus profondément dans un mode de développement énergivore, consommateur de ressources et de territoire et néfaste à la santé. Tout ce que nous construisons encore selon l’ancien modèle creuse notre déficit environnemental et social et s’ajoute à la somme des problèmes que nous devrons résoudre par la suite.
Ces 24 derniers mois, nous avons été des milliers à « parler territoire », avec la confiance que le gouvernement aurait le courage d’agir. Ce n’est pas le moment de baisser la barre. La montagne ne peut pas accoucher d’une souris.
* Cosignataires : Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin, présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement, Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale ; Thomas Bastien, directeur général de l’Association pour la santé publique du Québec ; Gérard Beaudet, urbaniste émérite, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal ; Aline Berthe, directrice générale de Voyagez Futé et CGDEML, représentante des Centres de gestion des déplacements métropolitains ; Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal ; Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec ; Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec ; Éric Cimon, directeur général de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec ; Geneviève Cloutier, professeure à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional – ÉSAD, directrice du Centre de recherche en aménagement et développement – CRAD, Université Laval ; Leila Copti, présidente de COPTICOM – Stratégies et Relations publiques ; Pierre Corriveau, président de l’Ordre des architectes du Québec ; Gabrielle Desbiens, coprésidente du Réseau des Conseils régionaux de la culture du Québec ; Jérôme Dupras, professeur agrégé et titulaire de la chaire de recherche du Canada en économie écologique de l’Université du Québec en Outaouais ; Johanne Elsener, présidente de Santé Urbanité ; Catherine Fernet, présidente de l’Association des architectes paysagistes du Québec ; Jean-Marc Fournier, président-directeur général de l’Institut du développement urbain ; Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec ; Michel Gariépy, professeur et urbaniste émérites à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Renée Genest, directrice générale d’Action patrimoine ; Catherine Hallmich, responsable des projets scientifiques de la Fondation David Suzuki ; Louise Harel, ancienne ministre des Affaires municipales et de la Métropole, ancienne présidente de l’Assemblée nationale du Québec et élue municipale ; Florence Junca-Adenot, professeure associée aux études urbaines de l’UQAM ; Mélanie Lelièvre, directrice générale de Corridor appalachien ; Laurent Levesque, directeur général de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) ; Philippe Lupien, architecte, architecte paysagiste et professeur, Design de l’environnement, UQAM ; Jean-Philippe Meloche, professeur et directeur de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage à l’Université de Montréal ; Léa Méthé, directrice générale d’Écobâtiment ; Charlotte Montfils-Ratelle, coordonnatrice générale d’Arpent ; Geneviève Morin, présidente-directrice générale de Fondaction ; Sylvain Paquette, titulaire de la chaire en paysage et environnement et professeur titulaire à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal ; Ron Rayside, architecte associé chez Rayside Labossière ; Jean-François Rheault, président-directeur général de Vélo Québec ; Maxime Rodrigue, président-directeur général de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec ; Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville ; Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre ; Juan Torres, Ph. D., urbaniste, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal ; Marie-Odile Trépanier, urbaniste émérite, professeure honoraire, École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal ; Martin Vaillancourt, directeur général du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement ; Sarah V. Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec.