Le bois est un matériau qui a prouvé à maintes reprises son efficacité et sa performance. Il doit ses propriétés à une molécule fascinante, la cellulose. Nous sommes encore loin d’avoir découvert tout ce que ce biopolymère a à nous offrir.
De nos jours, les bâtiments ne sont plus seulement conçus et construits dans le but de fournir un abri pour faire face aux éléments naturels. Avec l’évolution des technologies, l’épuisement des énergies fossiles et la crise climatique, la construction écoresponsable et l’efficacité énergétique des bâtiments sont maintenant au centre des préoccupations des architectes et des ingénieurs. Ainsi, dans un contexte où certains matériaux sont maintenant sélectionnés sur des critères environnementaux et permettant des économies d’énergie, le bois a fait son chemin et est plus que jamais au cœur de l’industrie de la construction.
Lorsqu’il est question du bois comme matériau, on pense tout de suite aux fameux 2×4 et 2×6 et à leur utilisation classique. Kruger inc., une entreprise reconnue pour ses activités dans le secteur forestier et l’industrie des pâtes et papiers, possède toutefois une vision innovante quant à ce matériau. En effet, avec la diminution de la demande pour le papier, l’industrie du sciage (responsable de l’approvisionnement en copeaux pour la mise en pâte) et des pâtes et papiers n’a pas eu d’autre choix que de se diversifier et de trouver de nouveaux débouchés pour leurs produits, sous-produits et déchets.
Ainsi, en 2013, Kruger et FPInnovations, un important centre de recherche canadien, ont signé une entente de partenariat stratégique afin de produire et d’étudier, dans leur usine de démonstration à Trois-Rivières, un matériau novateur, soit les filaments de cellulose. Ces filaments sont obtenus en soumettant la pâte servant à la fabrication du papier à un procédé mécanique contrôlé.
C’est en réponse à ces développements que l’on m’a donné le mandat, en tant qu’étudiant au doctorat à la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) de l’Université Laval, de développer une membrane pare-intempérie incluant une portion significative de filaments de cellulose. Mon travail de recherche s’effectue sous la direction du professeur Pierre Blanchet, titulaire de la Chaire de recherche.
La membrane pare-intempérie, une composante essentielle de l’enveloppe du bâtiment
La membrane pare-intempérie a pour fonction de limiter les infiltrations d’eau liquide et d’air, tout en permettant les échanges d’eau sous forme de vapeur entre l’extérieur du bâtiment et la cavité murale. L’application en règle d’une membrane pare-intempérie et son intégration avec les solins est le plus important facteur assurant une bonne performance du mur extérieur. L’eau s’infiltrant dans la cavité murale peut se retrouver en contact avec les matériaux de finition intérieure, l’isolation et les matériaux structuraux.
Un contact prolongé avec ces composantes peut résulter en une corrosion des matériaux connecteurs et de renforcement, une diminution de la valeur R effective de l’isolation, une prolifération de bactéries et une apparition de pourritures, des dommages liés à la finition intérieure, une détérioration de la structure, etc. Utilisée du côté froid de l’enveloppe (Figure 1), la membrane pare-intempérie se retrouve généralement derrière le revêtement extérieur, séparée par un espace d’air appelé coupure de capillarité. Elle agit comme second plan de protection contre les intempéries.
FIGURE 1
Différents procédés sont utilisés par les entreprises manufacturières pour produire ces membranes, mais ils impliquent tous des matériaux pétrochimiques. Depuis certaines années, non seulement dans le domaine de la construction, il est possible de remarquer une prise de conscience globale des impacts environnementaux causés par le traitement, l’utilisation et la disposition des matières synthétiques pétrochimiques sur l’environnement. Une substitution partielle ou totale des matériaux pétrochimiques par des matériaux renouvelables, comme la cellulose, dans une membrane pare-intempérie, permettrait de réduire l’impact environnemental de cette composante de l’enveloppe du bâtiment tout en valorisant une ressource locale et renouvelable.
La cellulose, un matériau d’avenir, mais pourquoi?
La cellulose est l’un des polymères les plus abondants et omniprésents sur la planète. Cette molécule est la principale composante du bois et des autres types de plantes lignocellulosiques telles que le chanvre, la jute, le maïs et bien d’autres. Par photosynthèse, les plantes lignocellulosiques comme les arbres absorbent du dioxyde de carbone (CO2) et rejettent de l’oxygène (O2) dans l’atmosphère, permettant de diminuer le volume des gaz à effet de serre. En repoussant le moment où ces organismes se décomposeront et rejetteront le CO2 emmagasiné en eux, on permet ainsi de « stocker » ce CO2. Il est donc important de valoriser cette ressource, les déchets et les autres sous-produits provenant de l’industrie forestière.
Les propriétés de la cellulose peuvent être expliquées par sa structure moléculaire. Cette molécule consiste en une chaine linéaire d’unité D-glucose (Figure 2).
Chaque unité présente trois groupes fonctionnels hydroxyles. La structure en microfibrille, l’organisation hiérarchique et le caractère hautement cohésif de la cellulose proviennent de la capacité de ces groupements hydroxyles à former des liaisons hydrogène fortes. Ces groupes sont également responsables du caractère hydrophile de la cellulose, c’est-à-dire qu’il existe une forte affinité entre la cellulose et la molécule d’eau.
FIGURE 2
L’intérêt scientifique et technologique pour la fibre de cellulose réside dans la combinaison entre sa nature renouvelable, abondante et ses propriétés intrinsèques. Certains matériaux composites, dont une partie des fibres synthétiques a été substituée par des fibres cellulosiques, présentent un niveau de dureté et de résistance mécanique similaire : ils sont plus légers, moins denses, ils requièrent moins d’énergie à produire et entrainent moins de dommages dans les équipements de production. L’industrie de l’automobile est un bon exemple de l’utilisation et du développement de ces composites biosourcés. En effet, c’est Henry Ford, en 1940, qui a développé le prototype d’automobile en composite à base de fibre de chanvre. Toutefois, ce n’est qu’à partir des années 1990 que les avantages de ces matériaux se sont vus reconnus et utilisés dans des productions de masse par des fabricants tels que Mercedez-Benz et Audi.
Une membrane pare-intempérie en cellulose : trop beau pour être vrai?
La performance d’une membrane pare-intempérie est fonction de plusieurs facteurs. La nature des composantes de la membrane est certainement le facteur le plus important puisque chaque matériau possède des propriétés différentes. La méthode de formation et de production de la membrane génère aussi son lot d’effets sur les performances de la membrane. Ce type de membrane doit agir comme filtre, elle doit donc permettre les transferts de vapeur d’eau tout en limitant les infiltrations d’agents externes comme l’eau de pluie, le vent et la neige (Figure 3).
FIGURE 3
Elle doit être assez résistante pour ne pas se déchirer et créer des points d’infiltration lors de la pose ou avec les mouvements du bâtiment. Ainsi, ce type de membrane est généralement produite avec un procédé de tissage ou de dépôt de fibres. Ces fibres, comme mentionné plus tôt, proviennent de source pétrochimique. Ce sont, pour la majorité, des membranes commerciales, des fibres de polyéthylène ou de polypropylène. C’est en contrôlant l’épaisseur de la membrane, la géométrie des fibres, le nombre de couches et le procédé de liaison de ces fibres entre elles que les fabricants atteignent les niveaux de performance requis.
La Figure 4 représente des images de différents grossissements faits au microscope optique de quatre membranes commerciales. Il est possible d’y voir les fibres, les perforations et les points de liaison des différentes couches.
FIGURE 4
L’objectif de développer une membrane pare-intempérie en filaments de cellulose étant large, ce projet de recherche a été divisé en sous-objectifs et en plusieurs axes. Les premiers pas vers la conception de cette membrane sont passés par une étape d’apprentissage et d’appropriation du matériau. Le procédé de fabrication de minces films par dépôt humide a été sélectionné afin de produire le premier concept de membrane, soit de minces films constitués seulement de filaments de cellulose.
Ce procédé est relativement similaire au procédé utilisé par l’industrie des pâtes et papiers. Ces minces films ont été soumis à des essais de résistances mécaniques et autres essais relatifs à l’évaluation d’une membrane pare-intempérie. À ce point, les conclusions démontrent que ces minces films, d’une épaisseur similaire à l’épaisseur d’un cheveu et d’un grammage de 40g/m2, dépassent les critères de performance en résistance mécanique pour une membrane pare-intempérie. Ce concept permet aussi les transferts et mouvements de vapeur d’eau à travers sa surface. Toutefois, le caractère hydrophile de la cellulose ne lui permet pas d’atteindre les critères de performance pour la résistance à l’eau liquide.
Ainsi, de nouveaux concepts de membrane sont explorés afin que les prototypes produits dans les laboratoires du Centre de recherche sur les matériaux renouvelables (CRMR), qui héberge le CIRCERB à l’Université Laval, atteignent les cibles de performance pour toutes les propriétés recherchées et nécessaires pour ce type de produit.
Plusieurs stratégies peuvent être utilisées afin d’atteindre cet objectif, soit diminuer le caractère hydrophile des filaments de cellulose par modification chimique ou physique, utiliser les minces films comme couche de renfort et y joindre un autre matériau agissant comme couche de barrière ou encore appliquer un revêtement hydrophobe sur les minces films. Malgré les défis que présente ce projet de recherche et le travail qu’il reste à accomplir, il est possible d’affirmer à ce jour que les filaments de cellulose sont un matériau prometteur pour une application dans le domaine de la construction en raison de leurs propriétés versatiles et avantageuses.
Références :
Lavoine, N., Desloges, I., Dufresne, A., and Bras, J. (2012). « Microfibrillated cellulose – Its barrier properties and application in cellulosic materials : A review ». In : Carbohydrate Polymers 90.2, pp. 735-764
Gugliuzza, A. and Drioli, E. (2013). « A review on membrane engineering for innovation in wearable fabrics and protective textiles ». In : Journal of Membrane Science 446, pp. 350-375