Même si cela se passe de l’autre côté de la planète, il est clair que l’invasion de l’Ukraine par la Russie aura aussi des répercussions économiques importantes sur le continent nord-américain.
Les sanctions économiques prises par la majorité des pays occidentaux envers la Russie auront notamment des impacts sur la croissance économique, l’approvisionnement, l’inflation et les taux d’intérêt. Voyons les conséquences prévisibles sur l’industrie de la construction et de la rénovation résidentielles.
Attiser l’inflation
Déjà, en février, l’indice des prix à la consommation au Canada affichait sa plus forte hausse (5,7 % d’une année à l’autre) en plus de trois décennies. Quoique généralisée, l’augmentation des prix a surtout frappé l’essence, les produits d’épicerie et le logement.
Depuis que la Russie a lancé son offensive le 24 février, plusieurs pays ont pris des sanctions qui visent à l’isoler économiquement[1]. Or, la Russie étant notamment un important exportateur de matières premières, dont le pétrole, le gaz naturel et le blé, le prix de ces produits a bondi sur les marchés internationaux.
Il est certain que le conflit va créer des pressions inflationnistes supplémentaires à peu près partout dans le monde et le Canada n’y échappera pas. Par ailleurs, n’oublions pas qu’une envolée du prix du pétrole accroît aussi tous les coûts de transport.
Tirer encore plus vers le haut le coût des matériaux
Le premier impact direct prévisible de l’invasion russe en Ukraine est qu’elle vient jeter de l’huile sur le feu de la flambée du prix des matériaux. Déjà en forte hausse en raison de la pandémie, qui a provoqué une baisse de productivité, des retards de production, une augmentation des coûts de transport et des problèmes d’approvisionnement, les prix du bois d’œuvre, de l’aluminium, de l’acier, du gypse et du béton risquent de monter de nouveau.
C’est que la Russie est aussi un grand exportateur d’aluminium, d’acier et de bois d’œuvre. Ce sont surtout les pays d’Europe qui vont en pâtir, certes, mais il y a néanmoins des contrecoups sur les marchés nord-américains. Depuis le déclenchement du conflit, on assiste déjà à une augmentation du prix de l’aluminium et de l’acier[2]. Quant au bois d’œuvre, son prix est demeuré très volatil depuis le début du conflit et il n’a pas montré jusqu’ici de tendance claire.
Finalement, plus le conflit sera long, plus il exacerbera les perturbations déjà présentes dans les chaînes d’approvisionnement.
Prendre la Banque du Canada entre deux feux
En raison de l’inflation élevée, la Banque du Canada a clairement annoncé son intention de relever graduellement son taux directeur au cours des prochains mois afin de ramener l’inflation vers sa cible de 2 %. Une première hausse a d’ailleurs eu lieu le 2 mars dernier. Avec la guerre en Ukraine, la Banque devra composer avec un choc inflationniste supplémentaire d’un côté et une croissance économique minée par les sanctions économiques de l’autre.
Un ralentissement économique à l’échelle mondiale est en effet attendu. L’impact néfaste sur la croissance économique au Canada reste toutefois à confirmer. Le Canada est un exportateur net de pétrole, d’aluminium et de fer qui pourrait possiblement prendre en partie le relais de certaines exportations russes qui approvisionnaient l’Europe.
À court terme, il y a peu de chances que la Banque du Canada change de cap dans la conduite de sa politique monétaire. Elle devrait augmenter son taux directeur à plusieurs reprises cette année. Par contre, si la guerre perdure et plombe la croissance économique, cela incitera probablement la Banque à faire preuve de plus de prudence dans la normalisation de son taux directeur, même si l’inflation est élevée. Donc, s’il y a un effet sur le taux directeur, ce sera fort probablement à la baisse.
Par contre, en ce qui a trait aux taux d’intérêt de moyen et de long termes, qui revêtent une plus grande importance pour les acheteurs immobiliers, le risque est malheureusement plutôt à la hausse. Les taux hypothécaires sont principalement influencés par les taux obligataires. Les anticipations d’inflation élevée sont bien ancrées chez les investisseurs qui veulent une prime plus élevée pour compenser la perte de leur pouvoir d’achat. Ainsi, la hausse des taux hypothécaires pour un terme de cinq ans pourrait être accentuée par l’attaque russe en Ukraine.
Faire augmenter le prix des propriétés sur deux fronts
Conséquence directe de la hausse du coût des matériaux l’an dernier, l’indice du prix des logements neufs de Statistique Canada laissait voir une augmentation de 17 % du prix des maisons neuves au Québec[3] en 2021. Nous espérions un retour graduel à la normale vers la fin de 2022, mais voilà que le conflit armé en Ukraine vient changer la donne. Le prix des matériaux sera encore frappé d’une forte inflation cette année.
Bien qu’il soit tôt pour chiffrer l’impact sur le prix des maisons,
nous nous commettons pour le moment à évoquer une hausse supplémentaire du prix
des maisons neuves de l’ordre de 15 % en 2022. Et pendant ce temps, les taux
hypothécaires remontent, ce qui compliquera beaucoup la vie des acheteurs de
maisons et de copropriétés neuves. Pour ces deux raisons, nos prévisions
tablaient déjà sur un recul des mises en chantier de 18 % au Québec cette année.
Nous publierons, d’ici quelques semaines, une mise à jour de ces prévisions ainsi
qu’un scénario pour l’an prochain, mais on peut dès maintenant avancer que la
tendance à la baisse va se poursuivre.
[1] Plusieurs pays ont choisi de diminuer drastiquement, voire complètement cesser d’acheter des produits en provenance de la Russie, ou encore, de leur imposer des tarifs très élevés. C’est le cas notamment de la Commission européenne qui a présenté un plan de réduction des importations d’hydrocarbures russes des deux tiers d’ici à la fin 2022 et de la totalité avant 2030. Dans le cas du bois d’œuvre, c’est la Russie elle-même qui a indiqué qu’elle mettrait fin à ses exportations vers l’Europe par mesure de représailles envers les pays qui soutiennent ouvertement le blocus à son endroit.
[2] Au moment d’écrire ces lignes, sur les marchés nord-américains, le prix de l’aluminium avait gagné 4 % et ceux de l’acier 6 % depuis le 23 février.
[3] Composante « Maison seulement ».