Quel employeur n’a jamais eu l’idée de faire suivre un travailleur en arrêt de travail par un enquêteur à la suite d’un accident du travail?
Qui n’a pas déjà pensé épier un travailleur qui, depuis bon nombre de mois, est à la maison sans possibilité d’effectuer quelques tâches en assignation temporaire?
Ce type de situation nous est rapportée plusieurs fois par année. Mais quels sont les critères que doit respecter un employeur avant de sauter aux conclusions et dépenser une somme importante en filature?
Le droit à la vie privée est encadré par plusieurs lois au Québec, comme la Charte des droits et libertés de la personne[1] et le Code civil du Québec[2]. Bien que le droit à la vie privée ne soit pas absolu, il est nécessaire de répondre aux critères établis par la jurisprudence afin que l’élément de preuve recueilli, le rapport de filature en l’occurrence, soit recevable. À défaut, la preuve obtenue sera déclarée irrecevable, même s’il y a preuve de fraude commise par le travailleur.
Depuis plus d’une vingtaine d’années[3], la jurisprudence retient que pour déterminer si la filature a été obtenue en respect des droits et libertés d’une personne, l’analyse doit s’effectuer en deux temps :
- La filature a-t-elle été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux?
- L’utilisation de cette filature est-elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice?
La surveillance à l’extérieur de l’établissement d’un employeur, ou de la résidence d’un travailleur, peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels. Il doit s’agir d’un motif sérieux et raisonnable qui amène l’employeur à douter de l’honnêteté du comportement d’un travailleur, et ce, avant de prendre la décision de le soumettre à une surveillance. Ce motif doit exister avant l’enquête. Il ne peut s’agir que de vagues soupçons, d’un simple doute ou de rumeurs.
De plus, la surveillance doit être conduite par des moyens raisonnables, soit être la moins intrusive possible, être ponctuelle et d’une durée raisonnable.
Dans l’affaire Rive-Sud Chrysler Dodge inc.[4], la preuve de surveillance obtenue par l’employeur a été déclarée irrecevable, et ce, malgré le fait que les résultats montraient bien que le travailleur travaillait pour son propre compte. Le Tribunal conclut que les motifs qui avaient amené l’employeur à autoriser la filature étaient insuffisants et que la fiabilité de la source d’information était non suffisamment sérieuse. L’employeur avait, avant de recourir à la filature, omis d’envisager d’autres avenues plus raisonnables que la filature pour vérifier l’honnêteté du travailleur, telles que le questionner sur les aspects qui lui paraissaient suspects ou le soumettre à une expertise médicale. Le Tribunal rappelle que la filature doit demeurer le dernier recours dans la gestion d’un dossier de lésion professionnelle.
Considérant que la preuve obtenue l’a été dans des circonstances portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux du travailleur et qu’il s’agit d’une violation grave effectuée par l’employeur, le Tribunal a accueilli l’objection du travailleur et déclaré irrecevable la preuve obtenue.
La surveillance par filature est très onéreuse et avant d’y recourir, il est préférable de s’assurer que les critères de recevabilité sont respectés.
Pour
toutes questions à ce sujet, n’hésitez pas à communiquer avec le Service
juridique de l’APCHQ au 1 800 463-6142.
[1] Articles 5 et 9.1
[2] Articles 3, 35, 36
[3] Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau, (C.A., 1999-08-30)
[4] 2021 QCTAT 66